Lot 3024 - A211 Art Suisse - vendredi, 29. novembre 2024, 14h00
FERDINAND HODLER
(Berne 1853–1918 Genève)
Le Lac Léman et le Mont-Blanc au petit matin (mars). 1918.
Huile sur toile.
Daté et signé en bas à droite: 1918 F. Hodler.
66 × 80,5 cm.
Provenance:
- Auction Galerie Moos, Geneva, 23.3.1935, Lot 94, as "Le Mont-Blanc".
- Collection Arthur Stoll, Arlesheim, from 1957.
- Heirs of Arthur Stoll estate 1971-1994.
- Auction Galerie Kornfeld, Bern, 24.6.1994, Lot 51, as "Genfersee und Montblanc-Kette vor Sonnenaufgang".
- Prominent Swiss private collection, acquired at the auction above.
Exhibited:
- Likely Basel 1919, Gedächtnisausstellung Ferdinand Hodler, Kunsthalle Basel, 18.5.–22.6.1919, no. 115, as "Le Mont-Blanc, aurore".
- Likely Geneva 1920, Expositions: Joseph Communal. Newell Marshall. A. Sandoz. A. Stockmann. Art ancien. Art moderne, Galerie Moos, November and December 1920, no. 181, as "Le Mont-Blanc au lever du soleil".
- Bern 1921, Hodler-Gedächtnis-Ausstellung, Kunstmuseum Bern, 20.8.–23.10.1921, no. 642, as "Mont Blanc bei aufgehender Sonne".
- Munich 1925, Ferdinand Hodler. Geboren 1853 zu Bern. Gestorben 1918 zu Genf, Moderne Galerie Heinrich Thannhauser, September 1925, no. 67, as "Mont Blanc bei Sonnenaufgang".
- Likely Geneva 1928, Exposition Ferdinand Hodler, Galerie Moos, 15.5.–30.6.1928, no. 81, as "Le Mont-Blanc, Lever du soleil".
- Likely Geneva 1930, Exposition. Les maîtres de la peinture contemporaine, Galerie Moos, May 1930, no. 42, as "Lac et Mont-Blanc, lever du soleil".
- Likely Geneva 1936, Ferdinand Hodler. Exposition organisée à l'occasion du XIVe Congrès international d'Histoire de l'Art, Galerie Moos, 8.9.–6.10.1936, no. 84, as "La chaîne du Mont-Blanc, lever du soleil".
- Geneva 1938, F. Hodler. Exposition commémorative à l'occasion du XXe anniversaire de sa mort, Galerie Moos, 19.5.–19.6.1938, no. 122, as "Le Mont-Blanc au lever du soleil".
- New York 1940, Exhibition of paintings by Ferdinand Hodler 1853-1918, Durand-Ruel Galleries, 13.5.–31.5.1940, no. 10, as "Le Mont-Blanc à l'aurore".
- San Francisco 1940, Paintings by Ferdinand Hodler, Fine Arts Museum of San Francisco, July and August 1940, no. 10, as "Le Mont-Blanc à l'aurore".
- Geneva 1950, Exposition F. Hodler 1853-1918, Musée de l'Athénée, 8.9.–21.9.1950, no. 56.
- Arlesheim 1953, Kunstwerke aus Arlesheimer Privatbesitz, Kirchgemeindehaus Arlesheim, 13.–28.6.1953, likely no. 5.
- Vienna 1962/63, Ferdinand Hodler. 1853-1918. Organised by Kulturamt der Stadt Wien, Secession, 6.11.1962–6.1.1963, no. 85, as "Genfersee und Montblanc-Kette vor Sonnenaufgang".
- Zurich and Biel 1964, Ferdinand Hodler. Landschaften der Reife und Spätzeit, Kunsthaus Zürich; Städtische Galerie Biel, 22.2.-5.4.1964; 17.4.–24.5.1964, No. 133. (only exhibited in Zurich.)
- Wetzikon, Bülach and Schwamendingen 1970, Ferdinand Hodler-Ausstellung, no. 53.
- Trubschachen 1970, 4. Ausstellung Schweizer Maler Trubschachen. Das Welschland. 25 Künstler mit 160 Bildern aus Museen und Privatbesitz, Turnhalle Trubschachen, 20.6.–12.7.1970, no. 109, as "Genfersee und Mont-Blanc-Kette".
- Trubschachen 1982, 10. Gemäldeausstellung Trubschachen. 22 Künstler mit rund 190 Werken, Kulturverein Trubschachen, 19.6.–11.7.1982, No. 56.
- Berlin, Paris and As 1983, Ferdinand Hodler, Nationalgalerie Berlin; Musée du Petit Palais; Kunsthaus Zürich, 2.3.–24.4.1983; 11.5.–24.7.1983; 19.8.–23.10.1983, No. 217.
- La Tour-de-Peilz 1985, Peintres du Léman, Château, 26.4.–27.5.1985, No. 18, as "Lac Léman avec banc de nuages".
- Trubschachen 1990, 13. Gemäldeausstellung Trubschachen. Wege zur Farbe. Schweizer Maler von der Jahrhundertwende bis heute, Kulturverein Trubschachen, 23.6.–15.7.1990, no. 19.
- Vienna 1992/93, Ferdinand Hodler und Wien, Österreichische Galerie, 21.10.1992–6.1.1993, no. 57.
- Munich and Wuppertal 1999/2000, Ferdinand Hodler, Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung; Von der Heydt-Museum, 25.6.–10.10.1999; 24.10.1999–3.1.2000, no. 100.
- Madrid 2001, Ferdinand Hodler. Fundación "la Caixa", Madrid, 5.10.–25.11.2001, no. 51, as "El lago Léman y el Mont-Blanc al alba".
- Bern and Budapest 2008, Ferdinand Hodler. Eine symbolistische Vision, Kunstmuseum Bern; Museum der Bildenden Künste Budapest, 9.4.–10.8.2008; 7.9.–14.12.2008, No. 159, as "Genfersee mit Mont-Blanc am frühen Morgen, März".
- New York and Riehen 2012/2013, Ferdinand Hodler. View to Infinity, Neue Galerie; Fondation Beyeler, 20.9.2012–7.1.2013; 27.1.–26.5.2013, No. 42, as "Lake Geneva with Mont Blanc, Early Morning, March".
Literature:
- Werner Y. Müller: Die Kunst Ferdinand Hodlers. Gesamtdarstellung. Volume 2. Reife und Spätwerk 1895-1918, Landschaftskatalog, Zurich 1941, no. 619, as "Montblanc bei aufgehender Sonne".
- Werner Y. Müller: The Art of Ferdinand Hodler. Gesamtdarstellung. Volume 2. Reife und Spätwerk 1895-1918. Landscape catalogue, Zurich 1941, p. 301.
- Hugo Wagner: Hodler Ferdinand. Maler. Zeichner. Grafiker. Bildhauer, in: Künstlerlexikon der Schweiz. XX. Jahrhundert, Frauenfeld 1958-1967, vol. I, p. 448, as "Genferseelandschaft".
- Marcel Fischer: Collection Arthur Stoll. Skulpturen und Gemälde des 19. und 20. Jahrhunderts, Zurich 1961, p. 72, no. 409 (with ill.).
- Hans A. Lüthy: Ferdinand Hodler. Sechzehn Bilder aus der Collection Arthur Stoll. Mit einer Einführung von Hans A. Lüthy, Zurich und Stuttgart 1964, no. 15 (with ill.).
- Hansjakob Diggelmann: Die Werke Ferdinand Hodlers in der Collection Arthur Stoll, 1972, p. 129, no. 86 (with ill.).
- Guido Magnaguagno: Landschaften. Ferdinand Hodlers Beitrag zur symbolistischen Landschaftsmalerei, in: Ferdinand Hodler, Zurich 1983, p. 319.
- Dieter Honisch: Das Spätwerk, in: Ferdinand Hodler, Zurich 1983, p. 456.
- Jura Brüschweiler: Ferdinand Hodler (Bern 1853-Geneva 1918). Chronologische Übersicht: Biographie. Werk. Rezensionen, in: Ferdinand Hodler, Zurich 1983, p. 168.
- Felix Baumann: Gedanken zur Farbe, in: Ferdinand Hodler, Zurich 1983, p. 363.
- Cornelia Reiter: Katalog der Gemälde und Zeichnungen, in: Ferdinand Hodler und Wien. Österreichische Galerie Oberes Belvedere Wien, Vienna 1992, p. 222 (with ill.).
- Guido Magnaguagno: Landschaften 1904-1918. Mit Textauszügen von Ferdinand Hodler, Dieter Honisch, Georg Simmel und Willy Burger, in: Ferdinand Hodler und Wien. Österreichische Galerie Oberes Belvedere Wien, Vienna 1992, p. 104.
- Jura Brüschweiler: Ferdinand Hodler. Collection Steiner, Zurich 1997, p. 220 (with ill. no. 76).
- Jura Brüschweiler: Le chant du cygne de Ferdinand Hodler. Essai sur la relation entre oeuvres peintes et témoignages écrits, in: Ferdinand Hodler et Genève. Collection du Musée d'art et d'histoire Genève, p. 91 (with ill. no. 23).
- Bernadette Walter: Biografie, Ostfildern 2008, p. 374.
- Paul Müller: Aspekte der Landschaft im Werk Ferdinand Hodlers, in: Ferdinand Hodler. Eine symbolistische Vision, Ostfildern 2008, p. 262.
- Christian Klemm: Das Licht in der Kunst Ferdinand Hodlers, Ostfildern 2008, p. 336.
- Oskar Bätschmann and Paul Müller: Ferdinand Hodler. Catalogue raisonné der Gemälde, ed. Schweizerisches Institut für Kunstwissenschaft, vol. II, Die Landschaften, Zurich 2012, p. 456, no. 589 (with ill.).
À l'automne 1917, alors atteint d’une pneumonie persistante, Ferdinand Hodler doit éviter son atelier mal chauffé du quartier des Acacias à Genève et rester dans son appartement du Quai du Mont-Blanc. Ces circonstances atténuantes auront néanmoins un impact considérable sur l’histoire de l’art suisse: l’impressionnante série de vues du lac Léman avec le Mont-Blanc, peintes depuis sa fenêtre, sont désormais considérées comme le véritable héritage artistique de Hodler. L'œuvre, mise aux enchères le 29 novembre à Zurich, appartient à cette série exceptionnelle de dix-huit versions, réalisées jusqu'à sa mort en mai 1918. Selon la notice de catalogue de la rétrospective organisée par la galerie Moos dès le 11 mai 1918 à Genève – une exposition visitée par Hodler quelques jours avant son décès – ce tableau daterait du mois de mars de la même année.
Hodler emménage au n°29 du Quai du Mont-Blanc en décembre 1913. Le panorama qui s'offre à ses yeux depuis sa fenêtre, avec la rade de Genève, le Salève et la chaîne lointaine du Mont-Blanc, est capturé par l'artiste dans plusieurs tableaux dès l’année suivante. Dans ces compositions, la ligne horizontale est marquée par la rangée d’habitations sur la rive opposée et par la cime des montagnes environnantes qui la surplombe, dont certaines versions sont ponctuées de cygnes, regroupés de manière rythmique, sur le littoral du premier plan. Dans sa dernière série d’œuvres, dont fait partie le tableau en question, Hodler se débarrasse largement des détails anecdotiques et des témoignages de civilisation.
La vue est peinte tôt le matin, avant le lever du soleil, tout comme onze autres versions de cette série. Les autres œuvres, réalisées l'après-midi, sont dominées par des tons bleus plus froids. Le tableau présenté ici repose sur une harmonie complémentaire de bleu et de jaune. Il est structuré horizontalement en plusieurs frises et divisé, en son centre, par la chaîne de montagnes. Au-dessus de la rive ocre et blanche, les teintes bleu clair de la surface du lac sont nuancées par les reflets jaunes de la lumière matinale. Une bande plus foncée marque la rive plus lointaine, avec des allusions d’arbres et de maisons voilés par un épais brouillard. Au-dessus, l’horizon bleu des montagnes, souligné par une ligne sombre, contraste avec l'intensité de la lumière jaune du petit matin. La silhouette des montagnes est marquée à gauche par le triangle du Môle, le massif imposant du Mont-Blanc et, à droite, par le plus proche Petit Salève. Dans la partie supérieure du tableau, les tons jaunes s'estompent progressivement dans une étendue atmosphérique au dégradé pastel clair.
Hodler utilise souvent une sorte de « carré magique » à la Dürer, un patron lui permettant de reproduire fidèlement les contours d’un modèle et, dans certains cas, d’un paysage. Depuis son salon au Quai du Mont-Blanc, il semble avoir utilisé la fenêtre en tant que cadre à dessiner, car Johannes Widmer écrit : « Pour ces tableaux, il appliquait à la largeur totale de la fenêtre de son balcon des diagrammes, tracés à l’huile bleue et rouge, qui restituaient avec précision les différentes silhouettes du lac et des montagnes. Ces contours formaient le squelette des paysages larges et fluides qu'il peignait. » [1]
La théorie du « parallélisme » élaborée par Hodler se manifestent par des répétitions de formes, des symétries et des parallèles comme éléments essentiels de ses compositions. Selon l'artiste, il s’agit de représenter les lois structurelles de la nature, auxquelles la matière vivante – y compris l'homme – et la matière inanimée sont soumises de manière égale. Hodler considère que la tendance naturelle de tous les éléments est de s'étendre horizontalement, telle la destinée humaine (il suffit de se remémorer la série d'œuvres représentant Valentine Godé-Darel sur son lit de mort) : « Tous les objets ont une tendance à l’horizontale, à s’aplanir sur la terre, comme l’eau, en cherchant une base toujours plus étendue. La montagne s’abaisse, s’arrondit par les siècles jusqu’à ce qu’elle soit plane comme la surface de l’eau. L’eau va de plus en plus vers le centre de la terre, ainsi que tous les corps. » [2] Dans ce sens, les derniers tableaux de Hodler ne sont pas de simples représentations d'un paysage spécifique, mais ils symbolisent les lois intemporelles de la nature.
Durant ses dernières années, après que les grandes scènes symbolistes et les commandes de portraits lui aient demandé beaucoup d'énergie et l’aient amené à faire de nombreux compromis, Hodler rêve de ne peindre que des paysages, librement, sans contraintes. Il confiera ce souhait au critique d'art Johannes Widmer, en contemplant le lac lors d'une promenade entre son atelier et son domicile: « Je vais peindre d'autres paysages que ceux que j'ai faits jusqu'à présent, ou bien je les peindrai différemment. Voyez-vous comment tout là-bas se dissout en lignes et en espace ? N’avez-vous pas l’impression de vous tenir au bord de la Terre, comme si vous communiquiez librement avec l'Univers ? C'est cela que je vais désormais peindre. [...] Je ne peindrai plus que par ma propre volonté, plus de commandes. Des paysages comme celui-ci, des paysages planétaires ! » [3] Le terme « planétaire » décrit parfaitement l’essence même de cette série d'œuvres ultimes : elles sont l'expression d'une vision symbolique de la nature qui transcende la concrète apparence topographique. C'est également ce que ressent Alberto Giacometti, qui admirait Hodler depuis son adolescence, en déclarant un jour : « C'est comme si ces paysages avaient été peints par quelqu'un qui se tient hors de ce monde. » [4]
Chez Hodler, la couleur et la forme servent à l’ordre et à l’harmonie du tableau, symbolisant les lois de la nature. « Formes en rythmes, l’ordre exalté par la couleur », écrit-il dans un carnet de croquis. [5] Déjà à l'époque, Hodler est perçu par ses contemporains comme un peintre chez qui la couleur était subordonnée à la forme. Cependant, dans ses œuvres tardives, Hodler s'éloigne progressivement des couleurs locales, liées aux formes, et en adopte un usage plus libre. Il exprime ainsi cette évolution à Johannes Widmer : « Pendant des années, j'ai relégué la couleur au second plan, me concentrant sur la forme, la structure et la composition. [...] Mais maintenant, j'ai les deux. La couleur n'accompagne plus simplement la forme, la forme vit et se courbe à travers la couleur. Et maintenant, c'est magnifique. Maintenant j'ai les grands espaces. » [6]
Paul Müller
[1] Johannes Widmer, Von Hodlers letztem Lebensjahr, Rascher & Cie, Zurich, 1919, p. 45.
[2] Carl Albert Loosli, Ferdinand Hodler. Leben, Werk und Nachlass, Suter, Berne, vol. 4, pp. 214-215.
[3] Johannes Widmer, Von Hodlers letztem Lebensjahr, Rascher & Cie, Zurich, 1919, pp. 8-9.
[4] Citation de René Wehrli, Report of the Gottfried Keller Foundation 1963-1965, pp. 71f.
[5] Carl Albert Loosli, Ferdinand Hodler. Leben, Werk und Nachlass, Suter, Berne, vol. 4, p. 214.
[6] Johannes Widmer, Von Hodlers letztem Lebensjahr, Rascher & Cie, Zurich, 1919, p. 43.
Hodler emménage au n°29 du Quai du Mont-Blanc en décembre 1913. Le panorama qui s'offre à ses yeux depuis sa fenêtre, avec la rade de Genève, le Salève et la chaîne lointaine du Mont-Blanc, est capturé par l'artiste dans plusieurs tableaux dès l’année suivante. Dans ces compositions, la ligne horizontale est marquée par la rangée d’habitations sur la rive opposée et par la cime des montagnes environnantes qui la surplombe, dont certaines versions sont ponctuées de cygnes, regroupés de manière rythmique, sur le littoral du premier plan. Dans sa dernière série d’œuvres, dont fait partie le tableau en question, Hodler se débarrasse largement des détails anecdotiques et des témoignages de civilisation.
La vue est peinte tôt le matin, avant le lever du soleil, tout comme onze autres versions de cette série. Les autres œuvres, réalisées l'après-midi, sont dominées par des tons bleus plus froids. Le tableau présenté ici repose sur une harmonie complémentaire de bleu et de jaune. Il est structuré horizontalement en plusieurs frises et divisé, en son centre, par la chaîne de montagnes. Au-dessus de la rive ocre et blanche, les teintes bleu clair de la surface du lac sont nuancées par les reflets jaunes de la lumière matinale. Une bande plus foncée marque la rive plus lointaine, avec des allusions d’arbres et de maisons voilés par un épais brouillard. Au-dessus, l’horizon bleu des montagnes, souligné par une ligne sombre, contraste avec l'intensité de la lumière jaune du petit matin. La silhouette des montagnes est marquée à gauche par le triangle du Môle, le massif imposant du Mont-Blanc et, à droite, par le plus proche Petit Salève. Dans la partie supérieure du tableau, les tons jaunes s'estompent progressivement dans une étendue atmosphérique au dégradé pastel clair.
Hodler utilise souvent une sorte de « carré magique » à la Dürer, un patron lui permettant de reproduire fidèlement les contours d’un modèle et, dans certains cas, d’un paysage. Depuis son salon au Quai du Mont-Blanc, il semble avoir utilisé la fenêtre en tant que cadre à dessiner, car Johannes Widmer écrit : « Pour ces tableaux, il appliquait à la largeur totale de la fenêtre de son balcon des diagrammes, tracés à l’huile bleue et rouge, qui restituaient avec précision les différentes silhouettes du lac et des montagnes. Ces contours formaient le squelette des paysages larges et fluides qu'il peignait. » [1]
La théorie du « parallélisme » élaborée par Hodler se manifestent par des répétitions de formes, des symétries et des parallèles comme éléments essentiels de ses compositions. Selon l'artiste, il s’agit de représenter les lois structurelles de la nature, auxquelles la matière vivante – y compris l'homme – et la matière inanimée sont soumises de manière égale. Hodler considère que la tendance naturelle de tous les éléments est de s'étendre horizontalement, telle la destinée humaine (il suffit de se remémorer la série d'œuvres représentant Valentine Godé-Darel sur son lit de mort) : « Tous les objets ont une tendance à l’horizontale, à s’aplanir sur la terre, comme l’eau, en cherchant une base toujours plus étendue. La montagne s’abaisse, s’arrondit par les siècles jusqu’à ce qu’elle soit plane comme la surface de l’eau. L’eau va de plus en plus vers le centre de la terre, ainsi que tous les corps. » [2] Dans ce sens, les derniers tableaux de Hodler ne sont pas de simples représentations d'un paysage spécifique, mais ils symbolisent les lois intemporelles de la nature.
Durant ses dernières années, après que les grandes scènes symbolistes et les commandes de portraits lui aient demandé beaucoup d'énergie et l’aient amené à faire de nombreux compromis, Hodler rêve de ne peindre que des paysages, librement, sans contraintes. Il confiera ce souhait au critique d'art Johannes Widmer, en contemplant le lac lors d'une promenade entre son atelier et son domicile: « Je vais peindre d'autres paysages que ceux que j'ai faits jusqu'à présent, ou bien je les peindrai différemment. Voyez-vous comment tout là-bas se dissout en lignes et en espace ? N’avez-vous pas l’impression de vous tenir au bord de la Terre, comme si vous communiquiez librement avec l'Univers ? C'est cela que je vais désormais peindre. [...] Je ne peindrai plus que par ma propre volonté, plus de commandes. Des paysages comme celui-ci, des paysages planétaires ! » [3] Le terme « planétaire » décrit parfaitement l’essence même de cette série d'œuvres ultimes : elles sont l'expression d'une vision symbolique de la nature qui transcende la concrète apparence topographique. C'est également ce que ressent Alberto Giacometti, qui admirait Hodler depuis son adolescence, en déclarant un jour : « C'est comme si ces paysages avaient été peints par quelqu'un qui se tient hors de ce monde. » [4]
Chez Hodler, la couleur et la forme servent à l’ordre et à l’harmonie du tableau, symbolisant les lois de la nature. « Formes en rythmes, l’ordre exalté par la couleur », écrit-il dans un carnet de croquis. [5] Déjà à l'époque, Hodler est perçu par ses contemporains comme un peintre chez qui la couleur était subordonnée à la forme. Cependant, dans ses œuvres tardives, Hodler s'éloigne progressivement des couleurs locales, liées aux formes, et en adopte un usage plus libre. Il exprime ainsi cette évolution à Johannes Widmer : « Pendant des années, j'ai relégué la couleur au second plan, me concentrant sur la forme, la structure et la composition. [...] Mais maintenant, j'ai les deux. La couleur n'accompagne plus simplement la forme, la forme vit et se courbe à travers la couleur. Et maintenant, c'est magnifique. Maintenant j'ai les grands espaces. » [6]
Paul Müller
[1] Johannes Widmer, Von Hodlers letztem Lebensjahr, Rascher & Cie, Zurich, 1919, p. 45.
[2] Carl Albert Loosli, Ferdinand Hodler. Leben, Werk und Nachlass, Suter, Berne, vol. 4, pp. 214-215.
[3] Johannes Widmer, Von Hodlers letztem Lebensjahr, Rascher & Cie, Zurich, 1919, pp. 8-9.
[4] Citation de René Wehrli, Report of the Gottfried Keller Foundation 1963-1965, pp. 71f.
[5] Carl Albert Loosli, Ferdinand Hodler. Leben, Werk und Nachlass, Suter, Berne, vol. 4, p. 214.
[6] Johannes Widmer, Von Hodlers letztem Lebensjahr, Rascher & Cie, Zurich, 1919, p. 43.
CHF 4 000 000 / 6 000 000 | (€ 4 123 710 / 6 185 570)